Le Vivant

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Le vivant n’est pas une propriété, un bien qu’on pourrait acquérir ou protéger, c’est un milieu. C’est un champ (chant) qui nous traverse, dans lequel nous sommes immergés, fondus ou électrisés. Si bien que s’il existe une éthique, en tant qu’être humain, c’est être digne du don sublime d’être vivant. Et d’en incarner, d’en déployer autant que faire se peut, les puissances.

Qu’est-ce qu’une puissance, une puissance de vie ? C’est le volume de liens et de relations qu’un être est capable de tisser et d’entrelacer sans qu’il s’effondre. Ou encore, c’est la gamme chromatique des affects dont nous sommes capables.
Vivre revient alors à accroître notre capacité à être affectés, donc notre spectre ou notre amplitude à être touchés, changés, émus
Contracter une sensation, contempler, habiter un instant ou un lieu, ce sont des liens élus. 
À l’inverse, faire face à des stimulus et y répondre sans cesse, pollue notre disponibilité. L’économie de l’attention ne nous affecte pas, elle nous infecte. Elle encrasse ces filtres subtils sans lesquels il n’est pas de discrimination saine entre les liens qui libèrent et ceux qui aliènent.
Nos puissances de vivre relèvent d’un art de la rencontre, qui est déjà en soi une politique. Celle de l’écoute et de l’accueil, de l’hospitalité au neuf, qui surgit. C’est la capacité à se tenir debout dans l’Ouvert, dans ce qu’on pourrait baptiser le Rouge Ouvert : un champ d’intensité vibratile et frémissant, attentif et vigile. Et puisque c’est la rencontre, le fait actif d’affecter et d’être affectés, passionnément, qui va nous hisser au vivant, il devient crucial d’aller à la rencontre. À  la rencontre aussi bien d’un enfant, d’un groupe, d’une femme que de choses plus étranges comme rencontrer une musique qui te troue, un livre intranquille, un chat qui ne s’apprivoise pas, une falaise ; côtoyer un arbousier en novembre, épouser la logique d’une machine, rencontrer un cri, la mer, un jeu vidéo, une heure de la journée, la neige…

Faire terreau pour que les liens vivent.
Les liens sociaux, collectifs et communautaires bien sûr, mais aussi amicaux et amoureux, filiaux ou familiaux. Puis au delà et avec plus d’attention encore, les liens avec le dehors, le pas de chez nous, l’outre soi. Avec l’étranger, d’où qu’il vienne. Et plus loin encore, hors de l’humain qui nous rassure, les liens avec la forêt, le maquis, la terre, le végétal comme l’animal, les autres espèces et les autres formes de vie : se composer avec, les accepter, nouer avec elles, s’emberlificoter.

Peut-être n’est-il qu’une seule vraie révolte, au fond, contre les parties mortes en nous, cette mort active dans nos perceptions saturées, nos pensées qu’on mécanise, nos sensations éteintes. Être du vif, relever du vif. Les furtifs portent en eux et nous portent à nous, comme un cadeau caché dont le ruban est à défaire, cette double révolution possible : celle des liens horizontaux, à tisser sans cesse hors de nous, et celle des liens verticaux, à intensifier en nous, avec nos ascendances animales.
Ce n’est pas l’un ou l’autre, l’un après l’autre : c’est tout ensemble une vitale insurrection, collective et intime, pour porter au point de fusion nos puissances. 
Et en offrir l’incandescence à ceux qu’on aime. C’est un alliage et c’est une alliance.
Être moins celui qui brûle que celle qui bruisse. 
Entrer, par effraction, dans le Rouge Ouvert… S’y tenir, fragilement… Pouvoir entrer dans la couleur.

Alain DamasioLes furtifs

ButinagesChristophe Boyer